10 décembre 2005

Les nouveaux réactionnaires

toits intranquilles à clichy
toits intranquilles à clichy,
originally uploaded by choudoudou.
LA NOUVELLE REACTION



La simplification qu’impose l’expression claire d’une problématique ou d’un débat court toujours le risque du simplisme et par conséquent de l’erreur.
Il en va ainsi de ces nouveaux réactionnaires que la Presse découvre depuis quelques jours amalgamant sous cette expression pratique des discours en réalité différents qui vont de la nostalgie au repli sur soi, de la peur à la colère, du refus à la révolte.

La génération du baby boom arrive à 60 ans, un âge où l’on se retourne volontiers et où enfance et adolescence se parent souvent des traits nostalgiques d’une jeunesse envolée.
Ce n’est pas un phénomène nouveau mais il peut s’exprimer certainement plus ouvertement pour la période comprise entre 1950 et 1980 que pour la période 1914-1950 où le discours nostalgique se trouvait refoulé d’office par les drames de l’histoire.
La constatation assez banale que les temps changent et qu’avant « c’était pas la même chose » ne mériterait pas de longs et savants commentaires si ne s ‘exprimait en réalité autre chose justement : les temps changent mais dans le mauvais sens et avant c’était mieux.
Or loin d’être réactionnaires et de ne plus croire au progrès certains constatent que c’est la société qui devient réactionnaire et que l’évolution du monde s’apparente à une marche en arrière et non à une marche en avant.
On peut certes en discuter mais ce n’est ni par nostalgie de l’odeur de l’encre violette ni par un soudain retour d’affection pour Maurice Thorez que certains s’inquiètent de la privatisation larvée d’EDF, de la disparition du contrat de travail, de la victimisation généralisée, du retour de la religiosité ou de l’apprentissage à 14 ans.
On ne pleure ni la marine à voile ni la lampe à huile, mais, au contraire, on craint le retour à la lampe à huile et à la marine à voile.
À l’évidence, comme tout est toujours compliqué, le sentiment d’un grand retour en arrière, peut se traduire par une peur du présent et de l’avenir.
Cette crainte engendre, c’est vrai, la tentation nostalgique et absurde de l’embellissement du passé : certains s’amourachent d’un « modèle social français » jusque-là méconnu, d’autres s’arc-boutent sur une intégration à la française dont les résultats sont, au moins, contrastés, d’autres encore idéalisent les fraternités ouvrières qui pourtant naissaient dans la misère et l’exploitation.
De l’autre coté les abus de langage ne manquent pas, les amalgames entre Libéralisme économique et Liberté, Réforme et avancées sociales, Progrès et Futur, déréglementation et Mondialisation, ouverture des marchés et ouverture au monde, droit de vendre et droits des peuples, renversent malicieusement le sens des mots et aident à caricaturer facilement ceux qui ne se satisfont pas de l’état des choses.

Certains, sans doute, s’acharnent à recenser tout ce qui ne va plus et était supposé aller auparavant avec une nostalgie qui n’est que du passéisme, à l’inverse d’autres profitent de la disparition des idéologies de rupture pour tenter de mettre à bas les principes fondateurs et fondamentaux de la République.

Aux uns, on peut répondre qu’il est vain de constater en pleurnichant que l’on volait peu de téléphones portables dans les banlieues au 19è siècle.
Aux autres que ce n’est pas parce que le communisme s’est effondré d’abord dans la dictature puis dans le néant que l’aspiration à l’égalité et à la fraternité est devenue ringarde.

Cette tendance à ringardiser le discours volontariste est profondément malsaine.
Du haut d’on ne sait quelle hauteur, en vertu d’on ne sait quelle compétence, une classe politico médiatique décerne ses bons et mauvais points au nom du réalisme et de la modernité et parfois, ce qui est un comble, au nom du socialisme. A ce dernier égard, la lecture du Nouvel Obs est une source inépuisable d’absurdités péremptoires dont le point commun est d’inviter fortement le Parti Socialiste à oublier le socialisme.
Ce serait un point de vue parfaitement défendable s’il était clairement et honnêtement énoncé, pourquoi ne pas rêver, en effet, au nom du réalisme, à un bipartisme à l’Américaine où alterneraient sans grands dommages pour l’activité financière des gros, moyens et petits porteurs, des libéraux excités et des libéraux raisonnables.
Il n’y a rien de déshonorant à penser ainsi, il est en revanche insolite de le faire au nom du socialisme même.
A vouloir démontrer à longueur de colonnes que les seuls socialistes réalistes, raisonnables et compétents sont ceux qui ne le sont plus, on ne facilite pas le débat démocratique qui suppose clivage et affrontement des idées, on le noie.
Au lieu de traiter d’imbéciles ceux qui ne s’enthousiasment pas pour les actions d’EdF, ceux qui ne pensent pas que le retour au privé du système de distribution électrique constitue un progrès, il serait plus judicieux de leur expliquer en quoi, en fonction même des grands idéaux de la gauche que l’on prétend défendre, ils se trompent et pourquoi le passage d’un actionnaire unique, l’Etat c’est à dire la Nation entière, à une multitude d’actionnaires privés, constituerait une grande avancée sociale et démocratique, bref pourquoi il est mieux que ce qui était à tous appartienne soudainement à quelques uns.

(à suivre...)